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Un peintre et 9 poètes :
galerie Pascal Gabert

 

12/12/2013 - 04/01/2014 

Ce qui est visible est la source de l’invisible et non le contraire comme on le croit souvent. Mais le visible et l’invisible ne se croisent au lieu de se contredire que dans un espace qui les matérialise réciproquement. Il faut un acte visuel, celui du peintre, et un acte mental,donc invisible, celui du poète – et nul lieu ne convient mieux à cette rencontre que le livre dit d’artiste…

 

Bernard Noël

(Ce texte est une note demandée par Philippe Amrouche qui tente de donner une simple définition de ce qu'est le livre dit d'artiste.)

 

Photo : Gaston Igounet 

Salah Stétié :
Philippe l'enchanteur

 

22/04/2014

PHILIPPE L’ENCHANTEUR

 

Philippe Amrouche est un coloriste de talent et qui sait, de la couleur, user avec une maîtrise et une sensibilité peu communes, aujourd’hui surtout où il arrive souvent que peindre soit barbouiller. Lui connaît l’effet de stabilité que sait produire sa palette quand ses plages se confrontent avec des mouvements comme des vagues qui viendraient émouvoir son pinceau et se développer en charme d’arabesque. J’ai, aimant la qualité de cet homme qui sait qu’il a entre les mains une sorte de baguette magique, apte aux fêtes et aux émerveillement, oui, aimant sa qualité, je me suis conjugué avec sa peinture et son art calligraphique à plusieurs reprises, avec bonheur.

 

Exposition S. Stétié et les peintres, Musée de sète, 2015

Photo : Patrick Blanchier 

Marie-Hélène Popelard :
Territoires de papier

08/03/2011 - 03/04/2011


 

Territoires de papier, Printemps des poètes, 9 mars 2011, Musée du Papier

 

De la pâte des choses le peintre ne donne jamais une équivalence mais une transmutation. La poésie ne procède pas autrement. Poète et peintre restituent les choses à une part plus intense de l’être. Et cette intensité-là, qu’ils recherchent ensemble, elle éclipse le dialogue que la poésie a toujours entretenu avec la musique. Parce qu’il y a dans la poésie une architecture toute sonore, comme en musique, le dialogue ne peut pas être heureux entre des expressions aussi proches. C’est avec ce qui nous est le plus éloigné, comme le disait Kandinsky, évoquant la proximité recherchée avec Schoenberg, que se découvrent les lieux de rencontre, la distance faisant ressortir les ressemblances. C’est en poésie comme en peinture un certain rapport entre le matériel et l’impondérable, avec un équilibre strictement inversé qui justifie l’appel des contraires. La poésie apparemment abstraite, mais enracinée dans le sonore accueille la présence sensible du monde ; la peinture apparemment matérielle en suggère les mystères les plus immatériels. Chacune songeant à ce qui lui échappe comme à son excès et à son improbable justification.

Philippe Amrouche ne cesse de reproduire ce miracle de la reconnaissance dans la création d’un espace communautaire où chaque dialogue peut devenir un fondement. L’histoire de cette aventure commence lorsque l’élan du livre d’artiste s’essouffle : il court le risque de devenir un classique, pire, un objet de luxe. Pourtant P. Amrouche choisit de le déplier avec précaution comme un rouleau de peinture oriental, réceptacle des mots et des touches de couleur apposées au pinceau ou au calame ; souvent luminescentes elles participent d’un paradoxe, le réveil d’un en deçà précieux du langage. Partout un même lexique de formes ou de matériaux rendus à la préhistoire de signes interchangeables et empruntés à la culture arabe – poteries kabyles, tapis, tatouages berbères, écritures arabes - où le peintre forge en permanence son identité.

Les collaborations que P. Amrouche a entretenues avec l’Extrême-Orient comme avec l’orient, avec des poètes comme Hamid Tibouchi, Salah Stétié, Adonis, A. Laabi, M. Darwich... et bien sûr celui qu’il considère comme son père spirituel, Claude Margat, mènent à autre chose qu’à seulement des livres. Le livre qui est la terre natale de l’écrivain est un pays étranger pour l’artiste – même s’il devient éditeur - et tout livre de dialogue ne peut se justifier, quelle que soit la beauté de l’image, si le texte est pauvre. La rencontre est toujours une rencontre au sommet et jamais une rencontre de fortune. Si chaque livre est un départ c’est qu’il témoigne d’un dialogue en profondeur entre deux créateurs vivants, sur fond de fascination réciproque entre « amitiés stellaires », « frères voyants » ou « alliés substantiels ». Et au cœur des plus troublantes réussites, une espèce de déception d’en finir qui ravive constamment le désir. Car l’éloignement finit un jour par nourrir une inquiétude constante : la rencontre devient comme suspendue, incertaine, un de ces moments rares d’autant plus anxieusement attendu que subsiste le désir absolu de maintenir le lien.

Pour Amrouche il faut répondre aux mouvements de la langue du poète par les passages, des mélanges, les effacements du pinceau comme par les graphismes noirs du calame. Qu’on entende le frottement du poème sur la coque du navire échoué qu’évoque le bel hommage à Mahmoud Darwich de Josyane De Jésus Bergey ; que les camaïeux de bleus offrent un sanctuaire ailé et ses grandes formes ouatées à l’autre bout du bleu de Mohammed Bennis ; que des jaunes et des oranges répondent au fagot d’étincelles jusqu’à l’achèvement de l’astre de Salah Stétié. Mais pour la présence impénétrable qu’évoque la rivière qui chante sous l’écorce de Claude Margat, ou pour le corps blessure d’Adonis plutôt l’évanescence colorée. La couleur mais la couleur comme une souffrance de la lumière, selon la belle image de Goethe.

Calligraphe, graveur, ou peintre, P. Amrouche n’est jamais devenu l’homme du flux à tout va. Aussi bien ne s’agit-il pas de s’abandonner au laisser-faire mais de se fixer une tâche paradoxale : préparer l’imprévu, organiser le hasard de la rencontre, programmer la spontanéité de l’écriture par la réserve du blanc attentivement ménagé dans les méandres des formes colorées. La descente en soi est passage d’un visage à l’autre, d’un sol à l’autre, d’une langue et d’une écriture à l’autre, du calame arabe au pinceau de Shitao.

La réalisation du livre - mais s’agit-il encore de livre ? - est une anamnèse partagée, une avancée vers un point situé bien en arrière, vers ces premiers dépôts d’énergie auxquels le peintre et le poète rendent toute leur force. L’œuvre à quatre mains n’est pas exécutée mais investie. La surface n’est pas informée mais travaillée par une double empoignade : celle du geste façonnant la matière, et celle du matériau façonnant le geste.

Monotypes, collages ou encres sur papier de Corée, Thaïlande, Japon ou Chine, les miracles fragiles ne peuvent éclore qu’en dehors des chemins balisés. La peinture chinoise se nourrissait de l’idée que le poète devait être d’autant plus figuratif que la peinture était elliptique et qu’ainsi peintre et poète accomplissaient chacun la moitié du voyage. En choisissant ensemble le souffle spirituel venu d’orient, la peinture et la poésie contemporaines adhèrent comme Michaux à la force de l’incomplétude. De très nombreux peintres lettrés comprendront ainsi que l’abstinence aboutit à une plus grande plénitude de suggestion. Rien de léché, rien de fastueux dans ces rencontres où il s’agit d’abord de se pencher sur ce qui fragilise l’attache de la langue. Car si les mots nous renvoient toujours à leur absence de matière, quelque chose se touche là à l’identique dans l’œuvre plastique qui leur fait écho, dit Bernard Noël, que P. Amrouche admire tout particulièrement, comme un bonheur raclé au bout de l’ongle, comme l’étrange muqueuse d’une image au contact du regard et sous le mobilier endormi des figures comme une sueur d’incarnation.

 

Marie-Hélène Popelard

 

 

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